رسالة مفتوحة إلى القضاة اللبنانيين

Lettre ouverte aux juges libanais

TRIBUNE

Samy GEMAYEL Député Chef du parti Kataëb | OLJ

22/12/2017

Mesdames et Messieurs les juges,

Je vous écris cette lettre en espérant que vous pourrez la lire, malgré la surcharge de travail qui vous est imposée par des recours intempestifs prenant la liberté d'expression pour cible.
Je vous écris en amoureux de la justice et des libertés qui font que le Liban doit demeurer malgré tout une exception dans la région.
Tous les Libanais ont compris que le temps est venu pour le pouvoir politique de vous mettre à contribution. La déferlante de recours déposés contre des journalistes et des hommes politiques qui ne sont pas du même avis que le gouvernement n'est pas passée inaperçue.
Je ne souhaite pas aborder ici le contenu de tous ces recours, bien que d'après ce que j'en pense, la plupart d'entre eux ne méritent pas que leur soit consacré le temps précieux d'un procureur de la République.

Chers juges,
Quelles que soient vos opinions politiques ou vos convictions religieuses, vos fonctions vous confèrent des pouvoirs très importants. En user est une responsabilité de la plus grande gravité. Votre préoccupation doit être d'abord et avant tout de préserver les libertés publiques et notre Constitution de toute atteinte.
Cette responsabilité dépasse les limites individuelles lorsque vous êtes sollicités par le pouvoir politique, que ce soit directement par le ministère de la Justice ou indirectement par des personnes s'inscrivant dans la ligne politique du pouvoir.

Mesdames et Messieurs les juges,
Vous ne pouvez pas ignorer par exemple ce que représente, pour la liberté d'expression au Liban, l'atteinte portée à une émission politique de l'envergure de Kalam el-Nass. Engager un recours contre Marcel Ghanem consiste à placer une épée de Damoclès au-dessus de chaque journaliste et de chaque citoyen libre et qui ne souhaite pas se taire.
Je ne pense pas que ceux qui sont visés par les recours regrettent quoi que ce soit ni que ces recours affecteront leurs convictions. Au contraire, ces recours confirment la justesse du combat qu'ils mènent.
Ce n'est donc pas pour eux mais pour vous que j'écris.
Il n'est pas sûr que le juge qui avait accepté de poursuivre par exemple Ghassan Tuéni n'a pas espéré par la suite pouvoir revenir dans le temps et effacer de son parcours cette étape regrettable. Ce qui ne fait pas de doute, c'est que Ghassan Tuéni en est ressorti grandi.
Dans une démocratie, le pouvoir est en place par la volonté d'une majorité populaire et l'opposition dispose d'un droit consacré à la critique, aussi sévère soit elle. De leurs côtés, les médias, mais aussi les citoyens, doivent être protégés contre les atteintes à leur liberté et les abus du pouvoir en place. C'est là le rôle de la justice.
Au Liban, en revanche, la situation est encore plus critique. En effet, le gouvernement actuel dispose du soutien d'un parti militaire qui a fortement contribué à sa mise en place.
La parole des opposants et des médias devient donc plus qu'un droit sacré ; elle devient une exigence incontournable pour que le Liban demeure.
Il n'est pas surprenant que le pouvoir au Liban choisisse de faire taire les critiques. Il n'est pas surprenant qu'il entende, à cette fin, mettre à contribution les tribunaux. Ce réflexe tyrannique est facilité par la diversité des partis composant le gouvernement.

Mesdames et Messieurs les juges,
Les limites qui doivent séparer le pouvoir exécutif de l'autorité judiciaire sont fragilisés au Liban. Vous ne pouvez pas ignorer que même le Conseil supérieur de la magistrature a exprimé une certaine réserve, pour ne pas dire une inquiétude, à cet égard. Lorsque l'on connaît la prudence de cette respectable instance, il est facile d'imaginer que des limites ont déjà été franchies.

Mesdames et Messieurs les juges,
Vous avez une collègue qui ne peut être révoquée et qui ne craint rien. Cette collègue est impitoyable parce qu'elle est inébranlable. Beaucoup de ceux qui ont été en fonction ont espéré, en vain, son indulgence une fois leur pouvoir perdu. Cette collègue, c'est l'histoire.
Vous savez aussi bien que moi que certaines pages de notre histoire récente ne sont pas glorieuses en matière de respect des libertés. J'ai la faiblesse de penser que vous ne souhaitez pas en écrire d'autres.
L'histoire du Liban, celle de la justice et la vôtre ne seraient-elles pas beaucoup plus belles si aujourd'hui vous dites « non » ?
Je vous prie de croire, chers juges, à l'expression de mon espoir distingué.

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